‘’Tirailleurs’’, réflexion sur les liens brisés par la guerre
Seydou KONE
Seydou KONE
-Abidjan
Journaliste de Culture - Freelance, Consultant Media (Côte d'Ivoire)

En Côte d’Ivoire, le film ‘’Tirailleurs’’ du réalisateur Mathieu Vadepied a été projeté le 11 janvier 2023, dans la grande salle de spectacle de 629 places, de l’Institut Français d’Abidjan (IFCI). ‘’Tirailleurs’’, nul ne voulait se le faire raconter

Gaumont Le Blog

Volontaire dans l'armée française pour ramener – coûte que coûte – son fils auprès des siens, que serait-il advenu si Bakary Diallo (Omar Sy), parce qu'aveuglé positivement par la survie de son fils Thierno [mobilisé de force pour renforcer les troupes françaises engagées dans la première guerre mondiale] qui sera fait prisonnier avec le Lieutenant Chambreau par les Allemands, ne les avait pas libérés et permis une offensive victorieuse de la force Française sur la colline stratégique tenue par les Allemands sur le front de bataille ?

Tout comme Bakary – qui ne voulut se séparer de son fils ‘’quoiqu’il arrive’’, le Lieutenant Chambreau (Jonas Bloquet) y perd la vie au front de bataille. Mais, tous les honneurs reviendront au second, fils du Général Chambreau (joué par François Chattot).

Point de mots pour Bakary. Juste une médaille pour Thierno. Une scène chargée d’émotions et d’amertume traduite suivie dans le mouvement de la caméra, par le visage fermé de Thierno. Les larmes qui s’en échappent invitent chacun des spectateurs à vivre l’état d’âme du soldat. Malgré la victoire. Point de joie. Triste retour au pays pour Thierno, après plusieurs années loin des siens.

Voici l'interview de l’historien ivoirien Alassane Diabaté, spécialiste de la première guerre mondiale:

Revient à l’esprit du spectateur, sans doute de Thierno, ce discours motivateur du Général Chambreau aux soldats mobilisés : « Africains du Haut Niger, du Sénégal, de la Guinée, du Soudan, vous allez contribuer à cette éclatante victoire ». Ce fut fait.

Que dire des promesses d’après bataille ?: « Après cette bataille, vous ne serez plus des indigènes, vous serez des français ! ». Ce propos du Général de bataillon dans Tirailleurs reste une promesse (encore d’actualité) que n'aborde pas le film. Là n’est pas le propos du film. Il s’agit plutôt de raconter l’histoire d’un père et de son fils avec en trame de fond, le lien sacré de la famille africaine et des valeurs qui vont avec. Si de l’avis de spectateur, l’engagement de Bakary est une chose, se retrouver comme une logique sur le même front que son fils, en est une autre, invraisemblable. En cela, Tirailleurs reste une fiction.

Réalisé par Mathieu Vadepied, Tirailleurs fait appel à la mémoire et raconte, du Sénégal aux Ardennes (site de tournage dans le département français de la région Grand Est), un fragment de l’histoire des Tirailleurs africains. Rappel de l’histoire, ils ont été près de 200.000 tirailleurs à s’être battus, entre 1914 et 1918, dans l’armée française.

Des 23 000 tirailleurs ivoiriens recrutés, 14 500 en sont revenus, a rappelé l’historien ivoirien Alassane Diabaté, spécialiste de la première guerre mondiale.

En Côte d’Ivoire, le film Tirailleursa été projeté le 11 janvier 2023, dans la grande salle de spectacle de 629 places, de l’Institut Français d’Abidjan. Tirailleurs, nul ne voulait se le faire raconter et la salle de l’IFCI a même refusé du monde.

©Koné Seydou
Ilboudo Paul, ancien combattant

Pour Ilboudo Paul, ancien combattant, le film Tirailleurs qui raconte « beaucoup de choses » n’est qu’un pan de la réalité vécue dans les tranchées. Car le film qui est une fiction est différent de la réalité de la guerre elle-même. Une qualité du film de Mathieu Vadepied, s’accorde-t-il, Tirailleurs présente ce qu’est la guerre. « Nul ne peut s’évader. Il faut combattre », témoigne l’ancien combattant.

C’est sous cet angle que Mathieu Vadepied, le réalisateur, aborde la question des déserteurs (de guerre) qui finissent au bout d’une corde, pendus. Le prix à payer. Bakary s’en convaincra. Lui qui avait trouvé le moyen de s’évader, renoncera à un suicide programmé car son compagnon de fugue sera retrouvé pendu dans les bois. Ainsi, à la question de Bakary de savoir « comment partir d’ici ? », survivre à la bataille en est la réponse. Réaliste, Thierno le fils l’avait compris : « Il n’y a pas d’issue, papa ». C’est la guerre, il faut combattre.

« Quand on dit la guerre, c’est la guerre. Il faut combattre pour t’en sortir », admet Ilboudo Paul, fiers d’avoir combattu. « Nous avons délivré la France, nous avons délivré le monde », affirme-t-il. De retour de la guerre d’Algérie en 1962, ses médailles qu’il arbore lui ont été décernées en Algérie, à la fin des années 60.

De la tradition du film de guerre (en général), observe Serge Agnessan, écrivain, universitaire et spécialiste de littérature et de cinéma, « c’est l’une des premières fois où ce qui est mis en avant, c’est le lien. C’est cette réflexion sur ce que la guerre vient briser ».

©Koné Seydou
Serge Agnessan, écrivain, universitaire et spécialiste de littérature et de cinéma

A la différence de ‘’Indigènes’’, réalisé par Rachid Bouchareb (2006) et qui aborde le sujet des soldats africains oubliés pendant la 2è guerre mondiale – l’effacement de la présence des soldats africains dans la mémoire de cette guerre –, Mathieu Vadepied met en avant le lien brisé. « C’est la raison pour laquelle, il y a le père et le fils. C’est une histoire de famille », souligné Serge Agnessan. Balary (père) ne cherche pas à faire la guerre. Il veut sauver son fils (Thierno).

En voulant sauver Thierno, Bakary est atteint mortellement. Agonissant, le père dit à son fils : « Si tu veux me sauver, sauve-toi ». Ce qui se traduit par sauver un héritage, le nom de famille. «Sur ce point de vue, soutient Serge Agnessan, c’est un film qui est important et qui vient se démarquer de la plus part des films sur l’histoire des tirailleurs », dont ‘’Camp de Thiaroye’’ – réalisé par Sembène Ousmane (1987).

Sans toutefois dévaluer l’importance de ‘’Tirailleurs’’ de Mathieu Vadepied qui raconte une mémoire africaine, le spécialiste de littérature et de cinéma milite pour une appropriation de « notre propre histoire ». « Il va falloir que nos ministères de la culture mettent l’accent sur le financement des films pour que notre mémoire soit prise en charge par nous-mêmes », plaide Serge Agnessan.

Le film ‘’Tirailleurs’’ est sorti le 4 janvier 2023, en France.

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