« Vous ne voyez sans doute qu’un tas de formulaires barbants. Mais, moi je vois une histoire. Avec une simple poignée de reçus, je peux connaître les moindres détails de votre vie. Et ce n’est pas beau à voir. », dit dans les premières minutes d’un ton menaçant l’aigrie inspectrice des impôts, Deirdre Beaubeirdre.
Parmi les membres de cette famille asiatique auxquels elle s’adresse, figure notamment Evelyn Wang (Michelle Yeoh, vu notamment dans Tigre et Dragon). Essoufflée à force de passer de petites soufflantes à son mari inoffensif et sa fille en couple avec une jeune femme, la copropriétaire d’une laverie n’est pourtant pas au bout de ses surprises.
Gros plan sur Everything, Everywhere, All At Once, second épisode de la série « En route pour les Oscars2023 », où tout va dans tous les sens avant de faire finalement sens.
Le linge sale se lave en famille
Dans ce train-train quotidien qu’elle maîtrise parfaitement, Madame Wang, petite femme aux longs cheveux bruns, fait tout pour que tout soit sur les bons rails. Un peu trop, même.
Mais ce jour-là, où le Nouvel An Chinois s’apprête à être célébré, rien ne va.
Abandonnée par le gong
Entre Waymond Wang (Ke Huy Quan, Indiana Jones et le Temple maudit), son inoffensif mari crédule qui veut divorcer, Joy Wang (Stephanie Hsu, Shang-Chi et la légende des dix anneaux), qui ne lui en apporte que rarement…de la joie, mais aussi son éternel insatisfait de père Gong Gong (James Hong, Kung Fu Panda), qui l’a reniée, la charge mentale risque de la faire exploser en mille morceaux et son corps s’éparpiller dans mille univers.
C’est finalement une autre sorte de périple, à travers des multivers, qui démarre.
Menacés par Jobu Tupaki, petite créature aux pouvoirs surnaturels, couplés à un don d’ubiquité, Ils ne peuvent être sauvés que par Evelyn qui elle-même doit sauver ses meubles. À deux doigts d’être saisis.
Les mille et une vies de Michelle Yeoh
Chanteuse, écrivaine, mais aussi cheffe cuistot, ou encore enseignante, professeure de chant, etc. Les gombos, petits boulots en argot ivoirien/nouchi, que Madame Wang multiplie depuis des années ne lui ont finalement servi à rien. Si ce n’est être au bord des dettes.
Star de cinéma, porteuse de colliers en diamant, mais aussi amante aux doigts en forme de saucisses, sushi cheffe, etc. Les mille et vies qu’Evelyn a connues à travers ses voyages dans le temps lui ont servi à acquérir des talents tels que la maîtrise des arts martiaux. Et ce sont, tous ces exploits-là que Michelle Yeoh expose/explose/exploite en mondovision.
D'ailleurs, c'est assez paradoxal que cette mère, porteuse de toute la famille, devienne une multipotentielle aux pouvoirs illimités, y compris celui de ressusciter, dans ces autres vies.
Si l’actrice malaisienne qui a déjà gagné un Golden Globe grâce à sa performance brille, c’est parce qu’à ses côtés Ke Huy Quan, qui a eu le Golden Globe du meilleur acteur dans un second rôle, tient parfaitement le rôle du mari effacé et effaçable. On en oublierait presque c’est lui qui le premier l’initie – à l’insu de son plein gré, certes - à l’art des pérégrinations spatiotemporelles.
En face d’eux, il y a d’abord Deirdre Beaubeirdre (Jamie Lee Curtis, True Lies). Inspectrice des impôts en temps réel puis combattante hors-pair dans le multivers. Mais même mis bout à bout, leurs pouvoirs ne sont absolument rien à comparés à ceux de Joy/Jobu Tupaki.
Vingtenaire en crise en temps réel, responsable de la pluie et du mauvais temps dans l’autre monde, Miss Wang dupe tout son monde.
Ces performances de haut vol, ces allers retours entre les différentes personnalités prêtent parfois à confusion. Mais, à la fin tout s’éclaircit. Tout rentre dans l’ordre.
Nouveaux déjà-vu
Parce que le long-métrage réalisé par Dan Kwan et Daniel Scheinert n’en ressemble à aucun mais à plusieurs à la fois.
Ainsi pêle-mêle : le trou dimensionnel dans lequel Evelyn plonge rappelle Alice aux pays des merveilles, « la plus célèbre exploratrice des mondes parallèles de l’histoire », mais également le multivers où l’essentiel de l’action se déroule est emprunté à l’Univers Marvel et Doctor Strange in the Mutliverse of Madness, sans le côté horreur.
Il y aussi du Matrix dans la façon dont Evelyn, au sein d’un bâtiment administratif comme Néo, découvre l’existence de mondes superposés, tels un lit pour enfants, avant de sauver la Terre. Et la liste pourrait continuer ainsi encore et encore tant les deux réalisateurs ont clairement pris le parti pris d’embrouiller le spectateur qui 24 heures après l’avoir vu se demande encore : « Mais c’était quoi ça ? »
Tics et plongeons
Ces tics que les personnages développent, ces choses toutes plus improbables les unes que les autres nécessaires pour déclencher un plongeon dans l’espace. Qu’est-ce que c’est, tout ça ?
Une fois la zone de turbulences passée, tout s’éclaircit.
Comme ce moment où - alerte spoiler - Evelyn parfume le visage d’un combattant dans le multivers/client dans la vraie vie ; qui s’était souvenu que sa femme et Madame Wang tapissaient les murs avec la même fragrance.
En fait, Everything, Everywhere, Once At All fait penser à une chambre d’adolescent mal rangée où des chaussettes séparées, par une machine à laver (clin d’œil, encore) traînent par terre, tandis que des vêtements à plier, dormant sur une chaise esseulée, ressemblent à une tour : la Pyramide du Plateau, par exemple.
Mais au final, on parvient à s’y retrouver. Tout comme Evelyn Wang.
Et dire que ça avait mal commencé, que : « Vous ne voyez sans doute qu’un tas de formulaires barbants. Mais, moi je vois une histoire. Avec une simple poignée de reçus, je peux connaître les moindres détails de votre vie. Et ce n’est pas beau à voir. »