« Fais attention à ton frère ! », répètent en boucle de protectrices mères inquiètes quand le plus grand de la fratrie se voit confier après d’âpres négociations inutiles, la garde du plus petit de la fratrie. Alors que lui, l’aîné, épris de liberté, n’a envie que d’une seule chose : se débarrasser de cet être, comme si c’était un colis piégé. « Fais attention à ton frère ! », c’est à peu près ce que Francis (Aaron Pierre, vu notamment dans Old) entendait quand il fallait qu’il s’occupe de son petit frère Michael (Lamar Johnson, Your Honor). Cette relation, mélange sucré-salé entre admiration et dévotion, est joliment mise en lumière dans Brother ; déjà l’un des meilleurs de l’année. Explications.
AU COMMENCEMENT, ILS ÉTAIENT DEUX FRÈRES
Scarborough, district de Toronto, Ontario. C’est au milieu de vielles tours et autres habitations à loyer modéré, que Francis et Michael vivent. Le premier est un beau grand gaillard métis, dont les muscles saillants manquent d’exploser sous ces débardeurs sans manches qu’il aime porter tandis que le second, petit noir chétif, est tellement perclus de doutes qu’il en viendrait même à douter et faire douter de sa propre existence tant il est invisible.
Encore plus quand il marche dans l’ombre de son protecteur de grand frère. Sous les yeux de Ruth (Marsha Stephanie Blake, When They See Us), qui comble autant que faire se peut l’absence de leur père qui les a abandonnés.
Dans cette famille caribéenne, la musique adoucit les cœurs perforés par leur ressentiment et la colère. Les matins, les vinyles crachent de doux décibels dans des gros écouteurs vissés sur de petites oreilles. Alors, Ruth transmet chaque jour un peu plus son goût pour la musique à ces enfants. Tombé dans la marmite des mélodies, Francis, et sa force « obéliesque », décide un jour, d’abandonner ses études et de se lancer dedans. C’est le début d’une lente mais inévitable chute sur laquelle on en sait lentement mais sûrement ; à mesure que le film avance.
AARON A JETÉ LES PIERRES D’UNE BELLE CARRIÈRE
Et une chose est claire, plus Brother déroule son fil plus Aaron Pierre étale son talent. Déjà repéré et repérable dans Old, l’acteur londonien est bluffant de fragilité, de justesse et de puissance.
Ce n’est pas sans rappeler cet autre film dramatique : Moonlight.
« BROTHER », FAUX FRÈRE JUMEAU DE « MOONLIGHT »
Avant d’appeler la police pour dénoncer cette comparaison, il est bon de mentionner que Moonlight, oscar du meilleur film en 2017 devant La La Land, est un chef d’œuvre dans sa capacité à représenter en trois temps cet enfant qui certes grandit mais reste passager clandestin de son propre corps.
En un mot, Moonlight c’est intouchable.
Mais là où les deux films se ressemblent c’est d’abord dans la structure dans laquelle les personnages principaux évoluent à savoir une famille monoparentale avec une mère qui finit par craquer l’une ravagée par la drogue et l’autre meurtrie par un terrible événement malheureux. Mais surtout dans cette quête d’identité dans laquelle ils sont lancés.
Francis a beau être fort, au point d’être enfermé dans cette caricature du « grand noir baraqué », il n’en demeure pas moins attentionné, bienveillant même si le jeune homme perd parfois ses nerfs. Michael, lui, se repose sur son aîné y compris pour la drague lorsqu’il rencontre la belle Aisha (Kiana Madeira, la trilogie Fear Street). D’ailleurs, elle aussi est en quête d’identité, à la recherche de ses origines et revient après un voyage.
Lorsqu’ils se retrouvent des années après toujours dans ce même Scarborough, après ces flashbacks que le réalisateur Clément Virgo (The Book Of Negroes) a servis parfois sans explication, dans ce même appartement, avec cet être qui leur manque à tous, tout prend sens. Et la beauté, chose qui a été rarement vue depuis le début de l’année, de Brother avec cette émouvante scène où ils dansent en souvenir du bon vieux temps, est alors claire, nette et précise. Comme la voix de ces tourmentées bienfaitrices maternelles qui disaient : « Fais attention à ton frère ! »