« Donne-moi ça ! », hurle chacun à leur tour frère et sœur.
Puis, un adulte, finalement lassé par ces enfants incapables de jouer ensemble, ne serait-ce qu’une minute et trente secondes, leur retire l’objet de toutes les convoitises.
Brinquebalé, dans les headquarters de marques de sportswear, par sa mère Deloris (Viola Davis, vue notamment dans Fences), elle-même suivi par feu James (Julius Tennon, The Woman King), son discret de mari, Jordan – qui n’apparaît jamais à l’écran – a tout d’un vase de porcelaine qu’on transbahute. Et pour cause, en 1984, à l’aube de sa future carrière NBA fulgurante, le prodige est courtisé par toutes les marques de l’époque. Converse, Adidas et une plus petite, qui finira par leur mettre une virgule à tous : Nike. Explications.
UN PARI JORDANESQUE
Recruté par un certain Phil Knight (Ben Affleck, The Town), fondateur de la marque à la virgule, Sonny Vaccaro (Matt Damon, Jason Bourne) passe le plus clair de son temps dans les gradins pour tenter de dénicher sur ces parquets universitaires LA perle rare ; celle qui acceptera de rejoindre la pauvre division basketball de Nike.
Mais entre le peu de moyens mis à sa disposition et le manque d’enthousiasme de ses collègues, plus occupés à juger le mauvais trait de caractère d’un joueur plutôt que d’évaluer ses belles performances, ce gourou du basketball a du mal à atteindre ses objectifs.
Et puis un jour, alors qu’il décortique, une énième vidéo, ses yeux tombent sur un gringalet noir qui ne tremble pas au moment d’inscrire le panier décisif : un certain Michael Jordan. Il ne lui en faut pas plus !
Les 250 000 dollars de budget, prévu pour la signature de plusieurs athlètes, le parieur les mise sur le futur numéro 23 des Chicago Bulls. Sacré pari jordanesque !
Mais parce qu’il aura tenté, y compris mettre son boulot dans la balance, auprès d’un patron visionnaire mais en même soucieux de ne pas fâcher le board, Vaccaro réussit à convaincre la mère, véritable agent du joueur plutôt que le vrai, David Falk (Chris Messina). Elle convainc ensuite son fils de les écouter.
Le reste n’est que history.
VIOLA DAVIS, MATT DAMON, FRANCHISE PLAYERS
La vraie star de ce long-métrage qui dure 111 minutes, ce n’est ni Phil Knight, ni même son fils, mais plutôt Deloris Jordan.
Un autre choix que Viola Davis aurait été vain tant l’actrice oscarisée incarne presque parfaitement la madre qui voit, avant que la carrière de son fiston n’ait commencé, les trophées individuels et collectifs dormir au-dessus de sa cheminée. L’autre qui croit autant en lui, enfin juste un peu moins, c’est bien sûr Sonny Vaccaro.
Quadragénaire au ventre bedonnant, qui passe plus de temps à l’extérieur que dans les bureaux de Nike, où chaque jour y a de nouvelles têtes, le recruteur est solidement incarné par un Matt Damon, juste/émotif/déterminé.
En fait, ce sont eux, les franchise players, les têtes d’affiche d’une équipe NBA, que Nike aurait dû recruter. Si Air est plébiscité à juste titre, il y a quand même quelques paniers percés.
OMBRE, WILL SMITH ET ENTORSES À LA RÉALITÉ
La meilleure chose que Ben Affleck, le réalisateur, ait faite de son film, c’est de faire planer tout au long l’ombre de Jordan sans qu’on le voit. Même à la fameuse réunion avec tous les grands pontes de la marque, qui s’est inspirée des derniers mots de Gary Gilmore, un condamné à mort blanc, pour en faire son slogan. Let’s Do It fut transformé en Just Do It.
C’est l’un de ses meilleurs films, avec Argo.
En mettant en avant le personnage de Deloris, le compagnon de Jennifer Lopez s’expose au jeu de la comparaison avec King Richard. Ou l’histoire du père Williams prêt à tout pour que ces filles Venus et Serena brillent dans le tennis. Les deux parents partagent cette même et farouche envie protéger les intérêts de leur progéniture.
Pour la petite histoire, c’est pour ce film que Will Smith a obtenu l’Oscar du meilleur acteur l’année dernière.
L’autre élément réussi, c’est la capacité à faire exister ces seconds rôles comme feu le marketer Rob Strasser (Jason Bateman, Ozark), mais aussi Howard White (Chris Tucker, Rush Hour) responsable des relations avec les athlètes et enfin coach George Raveling (Marlon Wayans). Sans ceux-là, aussi, le deal de l’histoire, un contrat de 5 avec 2,5 millions de dollars à la clé, n’aura jamais eu lieu !
Bien qu’il se rapproche énormément de la réalité, de l’histoire de la signature compliquée de ce gamin de Caroline du Nord, qui préférait Adidas, marque glorifiée un peu plus tard par des rappeurs, Run DMC, Air s’est autorisé quelques libertés.
Les plus grosses qu’ils aient prises concernent la rencontre dans le jardin des Jordan et le fait que Vaccaro et Jordan ne soient jamais rencontrés avant le fameux meeting. Le premier événement n’a jamais eu lieu tel que représenté dans Air où Vaccaro passe outre sa hiérarchie, l’agent du joueur, pour vendre son projet à Deloris !
Dans les faits, son représentant leur aurait conseillé d’écouter la proposition de Nike. Réfractaire à l’idée, Jordan, qui le raconte d’ailleurs dans The Last Dance, finit par y aller à ce meeting qui change sa vie et aussi la configuration du sport en général.
Quant au second, il est erroné dans la mesure où le dénicheur de talents a rencontré « le plus grand basketteur de tous les temps » dans un restaurant ; grâce à l’aide du fameux coach Raveling.
Parce que Air dessine une des plus grandes icônes de l'histoire, les avis divergent.
Certains trouvent que c’est le film de l’année. D’autres encore trouvent des choses à redire. En vrai, tout dépend de ce qu’on l’est au fond.
Si vous êtes sneakers addict que vous possédez par exemple une Jordan 1 Retro High Shattered Backboard 3.0, vous apprécierez cette plongée dans les coulisses parce que vous connaissez déjà l’histoire sur le bout des doigts de pied.
Si vous êtes plutôt simple polymathe que vous possédez une solide culture générale, vous soulèverez le manque de profondeur de certaines scènes.
Nous aussi, on aurait aimé savoir comment alors que personne ne le fait en pleines eighties Maman Jordan décide de faire inclure dans le contrat : des royalties sur chaque paire de chaussure vendue, dans le monde, pour son fils. Mais bon ligaments croisés, tu connais…
Au final, les mots convaincants de Deloris, la ténacité de Vaccaro, mais aussi la rapidité d’exécution du shoe desginer Peter Moore, décédé l’année dernière seulement et enfin l’organisation dysfonctionnelle d’Adidas, suite à la disparition de son national-socialiste de fondateur, Adolf Dassler, ont permis à ce deal historique de se faire. Presque sans qu’on entende : « Donne-moi ça ! »